Je fis sauter la pomme dans ma main. Ce marchand n’y avait vu que du feu, comme d’habitude. Je me demandais d’ailleurs s’il tenait les comptes … Ce n’était qu’une de temps en temps, mais au fil des années ça devait bien faire une quantité massive de pommes que je lui dérobais sous son nez. On feint de s’intéresser aux oranges, et là, zou, on repart sans orange mais avec une pomme. Un jeu d’enfant, si j’osais dire.
L’avantage du cœur de l’Empire, par rapport à mon pays, c’était quand même la météo. Je n’en revenais pas qu’un peu de neige sur le sol fasse à ce point déserter le marché de Shi. Ils étaient pourtant bien chanceux ! C’était le pied, par rapport au bruit pas si lointain du tonnerre toute la journée. Une enfance dans les plaines foudroyées, si on n’avait pas une mère consciencieuse, c’était un coup à devenir sourd. D’ailleurs, je faisais souvent cette blague quand j’en avais l’occasion, pour les gens qui ne m’avaient jamais croisé. Jusqu’à ce que je m’en lasse, mais ce n’était pas facile. Jouer les malentendants et faire passer l’autre pour un nigaud, c’était un de mes jeux préférés. Surtout que le moment de révéler la vérité était toujours grandiose !
Enfin, il était peut-être temps qu’on m’assigne une mission. Si on excluait la visite impromptue d’Eizaburo par chez moi, à Taki, je me la coulais un peu trop douce ces derniers temps. Tellement que je commençais un peu à m’ennuyer. Et il en fallait beaucoup !
Tout en croquant dans ma pomme pensivement, je me disais que ça faisait bien deux semaines que l’Empire n’avait pas eu recours à mes services. C’était étrange. Pourtant, me tenir occupé leur avait tenu à cœur pendant les derniers mois. Soit ils ne trouvaient plus rien à me faire voler, mais ce serait inattendu, soit ils me préparaient un mauvais coup dont ils avaient le secret.
A tous les coups, ce serait une équipe. J’ai ouïe dire qu’ils projetaient d’en faire, composées de leurs Genins tous frais. Et que je le veuille ou non, j’en faisais partie. J’imagine que ce ne serait pas trop grave si je tombais sur des types sympas. Mais imaginez que je me retrouve avec Eizaburo ! Ou avec cette Koyuki que j’avais arbitré … Aussi expressive qu’une écrevisse asthmatique. Cela dit elle avait au moins eu le mérite de réaliser un de mes fantasmes : elle avait collé de bons coups de sabre dans le fessier du dandy. Et en toute légalité, en plus, ce qui était un luxe que je n’avais pas eu. J’aurais préféré être à sa place que de devoir arbitrer …
Enfin, au moins, j’avais fait le plein d’informations sur mon nouveau Némésis.
Alors que je m’éloigne du marché, je sens comme une présence. Ou un regard ? Intrigué, et méfiant, je cherche tout autour de moi, en tâchant d’être désinvolte. Alors que je m’apprêtais à reprendre ma route, persuadé d’avoir la berlue, deux types apparaissent sur mon chemin. Sortis de nulle part. Ils sont tous les deux plus grands que moi, et entièrement vêtus de la panoplie des Anbus traditionnelle. Armure, sabres, masques. Le tout floqué avec le sceau de l’Empereur. Comme ils semblent tous les deux me regarder avec insistance, là, sans bouger, et stoïque, je commence un peu à paniquer. Heureusement, dans ma carrière, j’ai appris à avoir les nerfs solides. J’essaie de les saluer de la main, l’air de rien.
« Salut les gars ! Belle journée, hein ? »Ils se regardent. Une fraction de seconde pendant laquelle leurs yeux ne sont pas tournés vers moi. Je lance ma pomme, et je prends mes jambes à mon cou. C’est plus fort que moi, les figures d’autorité me font me sentir coupables … Un vieux réflexe.
En temps normal, je suis plutôt bon pour prendre la poudre d’escampette, mais je sens quelqu’un m’attraper par le col, derrière moi, et je bascule. Une force m’attrape, et m’immobilise au sol d’une clef de bras impitoyable.
Ou presque, je sens bien que ce type m’aurait pété l’humérus s’il avait voulu, mais qu’il y allait doucement. Faut pas m’abîmer alors ?
« Euh, si c’est pour la pomme, j’vous jure, j’compte le payer ! C’était juste une farce ... »Bluff, évidemment. Enfin, ils n’ont pas l’air de comprendre où je veux en venir. Celui qui me tient, et qui porte un masque de buffle, se tourne vers le second avec son masque de chat et dont la silhouette est plus féminine.
Enfin, de chat, de buffle. Autant que faire se peut, parce que j’ai toujours trouvé leur conception des animaux un peu étrange chez les Anbus …
« Qu’est-ce qu’il raconte, Saki ? »
« Je sais pas. Mais on doit le ramener à Tsukiko-sama. »Tsukiko ? Ce nom me dit quelque chose mais impossible de mettre le doigt dessus. Enfin, si je l’ai déjà entendu c’est sans doute pas très bon signe … Je me demande juste ce que j’ai fait de mal, par contre.
« Ah, j’y suis ! C’est cette peau-de-vache qui m’a balancé ! Putain, la prochaine fois que je le croise, je le dépèce ! »
« Calmes-toi, mon garçon. Tu ne vas dépecer personne. Suis-nous sans faire d’histoires. »Il m’aide à me relever, et me lâche. Je ne fais pas mine de fuir, cette fois, j’ai bien compris que ça ne servait à rien. Je peux peut-être me la jouer Nara ? Non, le type au masque de buffle me semble un peu trop fort physiquement. Pas le choix, je suis le masque de chat. Avec monsieur buffle dans mon dos.
On a à peine fait quelques pas que j’entends sa voix dans ma nuque :
« Pourquoi quelqu’un t’aurait balancé ? Tu as fait quelque chose de mal ? »
« Hein ? Ahaha, non, bien sûr que non. Mais vous savez, je connais un type super jaloux, et il veut me faire du tort. »
« Tu lui as piqué sa copine ? »
« Pas encore, mais si un jour il s’en trouve une je me priverais pas. »La bourrade qu’il m’offre pour me signifier d’avancer plus vite me fait dire qu’il n’approuve pas. En même temps c’était juste une boutade. Quoique.
En attendant, j’aimerais quand même bien savoir où m’emmènent ces deux énergumènes. Le point positif, c'est que je ne risque pas d'avoir d'équipe flambant neuve, si je suis dans un cachot.
???
[pas d'xp, le tout à la fin]
