Intronisation d'un Uchiwa

Un chat à la fourrure d’ébène glisse silencieusement entre les frondaisons du jardin de monsieur Murakami. Ses pas feutrés trahissant sa volonté de demeurer aussi invisible que possible. Il ne veut pas tomber entre les mains de l’enfant de la maison, encore moins de se réfugier sous les meubles pour se draper de poussière afin d’esquiver les caresses. Si seulement le temps était moins morose, il aurait peut-être eu l’opportunité de se glisser par une des fenêtres des étages. Au lieu de ça, il doit avancer avec une discrétion à toute épreuve.

Le chat ferme les yeux, tendant son museau, humant l’atmosphère qui l’entoure. À la recherche du moindre indice, du moindre effluve de Haruto, ce garçon qu’il s’évertue d’éviter.


Les vibrisses du chat frémissent tandis que sa truffe capte la fragrance délicate du linge séché au soleil, se mêlant aux tonalités florales propres à la famille Murakami. Les nuances métalliques et doucereuses ne laissent aucun doute quant à l’origine de cette empreinte. Haruto est présent, demandant une vigilance accrue.

Le souci réside dans le fait que le garçon semble être doté d’un sens qui lui est propre, lui permettant de déceler le moindre chat aux alentours. À moins que ce ne soit uniquement le cas en sa présence. Il n’a jamais su démêler cette énigme, impossible de savoir si ce radar est exclusivement sur lui ou s’il s’étend à tous les félins domestique. Peu importe, le souci demeure inchangé, il s’agit d’éviter à tout prix de finir entre ses mains.

Dans l’ombre, le chat avance, se glissant parmi les tiges de bambou longeant le mur oriental du jardin. C’est là qu’est le meilleur des refuges, offrant une cachette idéale. Cependant, cet abri ne lui garantit pas un passage direct vers la seule ouverture menant à la maison. Débouchant sur la pièce maîtresse.

Le chat jette un coup d'œil prudent autour de lui avant de quitter son repaire d’un bond confiant, le conduisant vers les pierres cerclant l’étang du jardin. Elles offrent également une cachette, pour peu qu’il se tasse. Il ne peut réfréner le désir de scruter les profondeurs de l’eau, passant une langue sur ses babines en observant les poissons évoluer paisiblement dans le bassin. Il sait qu’il ne peut en attrapper un, un filet les préservant de tout prédateur. Ses oreilles frémissent à l’idée de planter ses crocs dans leur chair.

C’est au prix d’une volonté farouche qu’il détourne son regard de la vie aquatique, aidé par l’odeur de Haruto qui gagne en puissance. L’animal s’aplatit contre le sol, avançant avec la plus grande délicatesse, redoutant de se retrouver nez à truffe avec le garçon. Il pose ses pattes sur le gravier blanc aussi légèrement que possible.

Le chat se glisse silencieusement à l’intérieur de la maison, trouvant refuge sous la table basse pour dissimuler au mieux sa présence. C’est à partir de cet endroit que les choses se compliquent. Le seul itinéraire menant à l’étage l’oblige à passer devant la chambre de Haruo. Si son flaire ne le trahit pas, c’est précisément là que le garçon se trouve.


L’animal fuse comme un éclair devant la porte entrouverte de la chambre, fort heureusement pour lui, Haruto est plongé dans l’un de ses livres. L’envie de jeter un coup d'œil à ce qu’il lit est rapidement balayée par la crainte de se retrouver entre ses mains. Même si une part de lui brûle du désir de recevoir des caresses. D’un mouvement de tête, le chat écarte cette pensée de son esprit, poursuivant son chemin jusqu’à l’étage alors que Haruto porte sur attention sur l’endroit où le félin se trouvait un instant plus tôt.

Mission accomplie pour le chat, qui continue malgré tout à avancer sur la pointe des pattes, conscient que les escaliers ont parfois tendance à grincer et ce même sous son poids léger. Il déambule le long du couloir menant au bureau de Hidenori, croisant de nombreux portraits dont la plupart représentent Haruto à divers moments de sa courte existence. L’un des cadres attire invariablement son regard, il se sent toujours contraint de s’arrêter devant celui qui immortalise la défunte mère de cette demeure. Une jeune femme au teint pâle, coiffée d’un chignon noir. Ses yeux pétillants lui donnent l’impression de le suivre du regard, il sait que c’est impossible mais ne peut s’empêcher de le penser. Heureusement que son sourire en coin est là pour lui donner un air sympathique. Une douceur se dégage de ce portrait, le chat aurait bien aimé la connaître.

- Je ne comprends toujours pas comment quelqu’un qui semble être aussi gentil a pu aimer maître Hidenori, plutôt que de mots, ce sont des miaulements qui sortent de la gueule de l’animal.

Les sons émis par le chat trouvent aussitôt écho à l’étage inférieur. Haruto est à présent au courant de sa présence. Le minou gronde envers lui, exprimant son mécontentement quant à son manque de prudence.
Il détourne son regard, se précipitant vers le bureau de Hidenori où il se fige devant la porte. Grattant frénétiquement, espérant qu’elle s’ouvre avant que le garçon n’arrive.

Le chat s’engouffre tête la première dans la pièce dès l’instant où la porte s'entrouvre, échappant de justesse au regard de Haruto. En quelques instants à peine, il se glisse sous le bureau. Ennuyant Hidenori sans que celui-ci ne relève ce qui serait insoutenable si la contrainte d’un sceau ne l’obligeait pas à tolérer la présence de l’animal si près de son fauteuil. En silence, il prend place, ne parlant que lorsqu’il est assuré d’être sous l’influence du fuinjutsu caché sous un tapis.

- Reprend ta forme renard, dit-il d’une voix grave et posée.

Le chat inspire profondément, ses yeux empreints d’inquiétude. Il émane de cette petite créature quelque chose d’étrangement humain. Il redoute manifestement quelque chose. Et comment ne pas le comprendre ? S’il peut changer son essence à un point tel qu’il ressent réellement ce que c’est d’être un chat, un humain, ou tout ce qu’il désire tant que ça lui est possible, ce n’est jamais une partie de plaisir. Au contraire, modifier sa propre nature, la structure de son corps, ne se fait pas sans en payer une contrepartie. Pour ce renard, celle-ci est particulièrement lourde.

La gueule du chat se tord sous ce qui semble être une profonde douleur, du moins c’est ce que laisse penser ses yeux embués et les cris stridents qu’il émet. Son corps tout entier frémit sous le supplice infligé. Aucun son ne s’échappe du bureau, stoppé par l’un des sceaux tracés.

Hidenori assiste à ce spectacle en détournant souvent le regard, car ce qui se passe à une dizaine de centimètres de ses pieds est tout sauf agréable. Ce n’est pas la première fois qu’il se trouve dans la même pièce lorsque le chat révèle sa véritable nature. Il sait à quoi s’attendre, mais il ne peut réprimer sa surprise, et surtout, surtout lorsque le son des os qui se brisent lui inspire un profond dégoût.

Comment toujours dans cette situation, le temps semble se distordre pour l’homme et le chat. Surtout pour ce dernier, qui endure chaque seconde, criant à chaque instant, le tout provoqué par les déformations que son corps subit. Ses pattes prennent des angles qui ne devraient pas être envisageables. Cela dure un peu moins d’une minute, une éternité pendant laquelle le félin se tord dans tous les sens en poussant des hurlements. Hidenori porte une de ses mains à sa bouche, écoeuré par le spectacle.

- Heureusement que tu as mis au point ce sceau, laisse échapper Hidenori après que le chat ait cédé la place à un jeune renard, muni de deux queues rattachées à son postérieur, au pelage roux. As-tu appris quelque chose renard ? L’animal secoue chacune de ses pattes, cherchant apparemment à s’assurer qu’elles fonctionnent toujours bien. Je t’ai posé une question renard ! Les oreilles du petit être se couchent sur son crâne alors que son museau est pointé vers le tapis.

- Désolé maître Hidenori, je m’assurais juste que tout fonctionne bien, ce sont des mots qui sortent de la gueule du kitsune, porté d’une voix fluette et hésitante. En tout cas, il ne semble plus souffrir de sa transformation. Comme vous le pensez, Hideaki Uchiwa compte se présenter en tant que conseiller. D’après ce qu’il dit, il a beaucoup de gens qui seraient pour qu’il occupe ce poste.

- Foutu consanguin ! Ils essayent vraiment de s’infiltrer partout !

Satsuki n’a jamais compris pourquoi cet homme voue une telle haine envers ce clan. Est-ce que ça viendrait de son cousin faisant partie de ce cercle fermé ? Il en doute, vu qu’il ne lui a jamais été demandé de l’espionner ou de le surveiller. Et c’est pourtant, au cœur du quartier des Uchiwa qu’il passe le plus clair de son temps lorsqu’il n’est pas chez Hidenori.

- Qu’as-tu appris d’autre ? Le jeune renard prend quelques secondes pour se remémorer tout ce qu’il a vu et entendu durant ces trois derniers jours.

- Monsieur Hideaki est très fier de son petit-neveu Eizou. Il est jugé comme le meilleur des étudiants de l’académie, et ça  depuis des années. Satsuki accompagne ses paroles d’une moue, tandis que Hidenori soupire.

- Je me contrefiche de ce genre d’information renard ! Comment veux-tu que j’en tire quoi que ce soit ?! S’irrite l’homme en se servant un verre d’eau qu’il descend d’un trait. Surtout que je suis déjà au courant ! Mon fils est encore à l’académie je te signale ! On sent une pointe de jalousie dans la voix du Murakami. Ne me dit pas que c’est les seules informations que tu as glané ! Tous les deux se taisent alors que quelqu’un toque à la porte du bureau, il ne faut qu’un coup d'œil bref à Satsuki pour comprendre qu’il doit se cacher dans le tiroir que l’homme ouvre. Tu peux entrer Haruto.

Le fameux garçon aux caresses glisse sa tête dans l'entrebâillement. En le voyant, il est impossible de ne pas établir un lien entre lui et son père. C’est au niveau de la forme du visage, les mêmes traits délicats. Le plus frappant reste les yeux, bien que ceux de Haruto soient plus ronds, il y a quelque chose de saisissant dans la couleur, un bleu très clair que Satsuki n’a observé que chez ces deux humains. Les cheveux noirs du garçon, coupés court contrairement à ceux de son père, coiffé en arrière, ont une teinte légèrement plus chaude que ceux de Hidenori.

- Désolé de te déranger papa mais tu n’aurais pas vu un chat ? J’en ai entendu un entrer mais je n’arrive pas à le trouver.

- Un chat ? Non, je n’en ai vu aucun. Tu es certain que s’en était un ?

- Pratiquement … À moins que ce soit mon imagination … Le front du garçon se plisse, trahissant sa recherche dans ses souvenirs. Je vais continuer à chercher en bas !

- Ne perd pas ton temps avec un plausible chat Haruto. Tu ferais mieux de revoir tes cours, je n’accepterai pas une nouvelle mauvaise note. La bouche de Haruto se tord face à cet avertissement.

- D’accord papa. Je retourne à mes livres de stratégie.

Hidenori ouvre au hasard l’un des dossiers devant lui afin de donner l’illusions qu’il est également plongé dans son travail. Depuis qu’il a contraint Satsuki à rompre ses liens avec son propre père, il est le seul à être au courant de l’existence du kitsune et il n’a pas l’intention de changer cela.

- Alors qu’as-tu appris d’autre renard ? Demande-t-il une fois la porte fermée.

- Hier le prince a rendu visite aux Uchiwa, répond Satsuki en sortant sa tête du tiroir encore ouvert, posant sa mâchoire inférieure sur le bois de celui-ci.

- Et tu m’en parles que maintenant ?! Pourquoi s’est-il déplacé ?! S’emporte Hidenori.

- Je n’en ai aucune idée, je surveillais monsieur Hideaki comme vous me l’avez demandé maître Hidenori, les oreilles du jeune renard se plaquent contre son crâne, sentant, sans comprendre pourquoi, que cette information déplait à l’homme.

- Ma parole ! Tu es stupide ?! Satsuki signe d’un non timide de la tête. Si le prince rend visite à quelqu’un c’est plus important que tout ! Pourquoi ne l’as-tu pas suivi ?!

- Je n’aurais pas pu surveiller monsieur Hideaki comme vous me l’aviez demandé si je suivais le prince. Hidenori soupire d’agacement, il est rare de le voir aussi expressif. À vrai dire il ne l’est qu'avec son fils et celui qu’il considère comme sa propriété.

- As-tu appris autre chose qui pourrait m'intéresser ? Ajoute-t-il après quelques secondes de silence.

- Monsieur Hideaki espère pouvoir reprendre la place de chef du clan des Uchiwa à la mort de son oncle Wakio. Sa santé s’empire de jour en jour d’après lui.

- Il commence vraiment à m’agacer cet Hideaki. Ce serait plus que ennuyant qu’il accède à ce poste. S’il le cumule avec celui de conseiller ça augmenterait un peu plus son influence. Hidenori passe une main sur son menton tout en se servant un nouveau verre d’eau.

- Je pourrais aussi m’en occuper.

- C’était une erreur de ma part. Il aurait mieux valu que ce vieux fou reste à sa place plutôt que de voir son neveu consanguin prendre sa place. Rien n’est encore sûre mais c’est une éventualité que je me dois de prendre en compte.

- Est-ce que je pourrais … ? Demande timidement le renard d’une voix timide, n’osant pas trop terminer sa phrase. Bien que flou, Hidenori a bien compris ce que souhaite le Kitsune. L’homme plonge une main dans l’une de ses poches afin d’en sortir une bourse d’où il libère une petite sphère de nacre irrégulière de cinq centimètres de diamètre. Une légère lueur bleue pâle s’en émane.

- Ne t’avise pas de la toucher, prévient Hidenori de sa voix grave.

Plus facile à dire qu’à faire. Hidenori semble insensible à l’égard de cet étrange petit objet, il en va tout autrement pour le kitsune. Une partie de son âme réside dans cette sphère. Le simple fait que la famille Murakami en soit détentrice depuis des décennies l’astreint à une obéissance sans faille. Il pourrait essayer de mettre la patte dessus, mais il n’en a même pas conscience. Pour lui, les choses ont toujours été ainsi, et jamais il n’a songé à remettre en question cet état de fait. Néanmoins, il éprouve le sentiment que cet objet ne devrait appartenir à nul autre que lui.

- Tu m’écoutes renard ?! L’intéressé détourne son museau de la sphère, il n’en a aucune envie mais la peur de l’énervement de Hidenori est plus forte que celle de continuer à l’admirer. Toi qui passe beaucoup de temps chez les Uchiwa. Est-ce que tu penses que Hideaki pourrait être choisi comme prochain chef ?

- C’est possible maître, il est très apprécié par son clan. Mais ça pourrait tout aussi bien être Ukichiro, il est un peu plus vieux que Hideaki ce qui lui donne un peu plus de poids. Il a réussi à apaiser les tensions entre la région de Tetsu et de Heigen. Uran pourrait aussi se présenter en ayant ses chances, elle est très respectée depuis qu’elle a dépensé une partie de sa fortune pour agrandir la propriété des siens. Et je pense que Wayu pourrait aussi être dans la course, elle n’a rien fait d’aussi grand que les deux autres. Mais elle dirige l’académie depuis une trentaine d’années, tous sont passés dans son bureau ou y envoient leurs enfants, parfois même les deux.

Si Satsuki excelle dans quelque chose en dehors du fuinjutsu, c’est bien dans l’art de collecter des informations. Depuis des décennies, il opère dans l’ombre à Shuto pour le compte des Murakami, et parfois de manière obscure depuis qu’il est aux ordres de Hidenori. Sa capacité à s’effacer de la mémoire de quasiment tout le monde lui permet de glaner des renseignements sans susciter le moindre soupçon.

- Wakio en a pour moins d’une semaine, ça ne laisse pas beaucoup de temps pour tenter d'aiguiller le choix de ces consanguins. Tu vas retourner au sein du clan Uchiwa pour en apprendre un maximum sur ce qu’il se passe en son sein. Surveille chacun des plausibles futur chef de ce clan. Surveille également Wakio, je veux savoir qui se rend à son chevet. Si jamais le prince rend à nouveau visite au clan, suis le comme son ombre. J'attends de toi un rapport toutes les nuits à deux heures ici même, l’idée de devoir se transformer deux fois par jours ne plaît pas du tout au renard.

- Je vais avoir du mal à suivre tout le monde, je ne peux pas me diviser maître Hidenori.

- Fait au mieu renard, impose-t-il en reprenant la sphère de nacre qu’il range dans la bourse, le tout sous le regard attristé du kitsune. Avant de repartir, est-ce qu’il y a d’autres informations qui pourraient m’intéresser ?

- Vous ne pouvez pas me laisser la voir un peu plus ? Demande timidement le renard en suivant du regard la bourse disparaître dans la poche de Hidenori.

- Peut-être quand tu reviendras de ta mission. En attendant répond à ma question, reprend-t-il d’un ton sec.

- Si les études de Eizou ne vous intéressent pas je n’ai pas d’autres informations maître Hidenori.

- Je me passerais bien de l’étalage des prouesses de ce consanguin. Si tu n’as rien d’autre à ajouter retourne au plus vite dans le quartier des consanguins. Si les informations que tu me ramènes sont intéressantes, je te laisserais dormir dans la même pièce que ta perle. Les yeux de Satsuki pétillent rien qu’à l’idée de pouvoir se retrouver aussi proche de son Hoshi no tama durant toute une nuit, chassant l’idée de la douleur. Il est prêt à tout endurer pour ne serait-ce que quelques heures avec le bout d’âme qui n’est pas dans son corps.

- Merci maître Hidenori ! J’y vais tout de suite !

Tout de suite n’est pas vraiment l’expression à utiliser dans un tel cas, retrouver sa forme de chat est tout aussi douloureux que celle de la quitter. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que la fenêtre du bureau de Hidenori s’ouvre, laissant le passage à un chat à la fourrure noire.

Le chat tourne en rond autour de la maison où Hideaki a trouvé refuge, la demeure la plus étrange du clan Uchiwa et peut-être même de la ville. C’est celle que chaque dirigeant de cette famille choisit comme sienne depuis la construction de ce quartier il y a huit siècles. C’est l’un des plus anciens de tout l’empire, érigé aux premières heures de la capitale. La singularité de cette construction réside dans son porche qui tranche nettement avec le reste des lieux. Il est même plutôt laid, d'une grossièreté détonante, son bois affichant une teinte terne malgré sa qualité. Pourquoi garder quelque chose d’aussi peu harmonieux ? L’animal s’est souvent posé cette question en passant devant, jusqu’au jour où il entendit Hideaki en parler à son petit-neveu.

Ce porche a pour mission de rappeler à chaque Uchiwa qui le franchit d’où ils viennent, de leur signifier que malgré la puissance de cette vaste lignée, la défaite est une éventualité qu’il ne faut pas négliger. Peu sont encore ceux qui accordent autant d’importance à ce qui s’est déroulé autrefois, mais il y a huit cents ans, tous les humains étaient esclaves. Ils devaient leur liberté à une seule personne, l’Élue Tsumitoru qui avait redécouvert l’art de manier le chakra. Le vieil homme s’était un peu étendu sur ses explications, racontant cette époque inconnue du chat avec une fierté palpable, comme s’il avait lui-même participé à l'avènement de cette nouvelle ère.

Le félin jette finalement son dévolu sur une barrière où il se perche. Donnant sur la fenêtre offrant la meilleure vue pour observer Hideaki, en pleine conversation avec l’épouse de Wayuu. Malheureusement, il lui est impossible d’entendre leurs paroles. Le seul point d’accès est celui de la cheminée qui mène directement vers le foyer chaleureux réchauffant toute la demeure. Le chat a bien tenté d’entrer en même temps que Hideaki, mais celui-ci lui a barré la route, le repoussant du pied malgré ses insistances.
Ce poste d’observation présente un inconvénient majeur, l’animal ne peut se pelotonner pour limiter les pertes de chaleur. Il est contraint de se secouer de temps en temps pour se débarrasser de la neige qui s’accumule sur lui.

La gueule du chat s’ouvre en grand, manquant de peu de se décrocher dans un bâillement puissant. Il n’en est qu’à son deuxième jour de surveillance, mais il en ressent déjà toute la fatigue de la courte nuit qui lui a été imposée. Garder autant de personnes sous haute surveillance n’est pas une mince affaire, même pour un habitué.  Et cela devient encore plus difficile lorsqu'on frissonne de froid. Heureusement, quelques âmes charitables pensent à lui en déposant de la nourriture devant chez eux en le voyant traîner. Rien que pour aujourd’hui, il en est déjà à son quatrième repas, et l’après-midi touche se termine à peine.

Le chat abandonne son poste d’observation au bout d’une demi-heure. À en juger par les éclats de rire de sa cible il suppose que la conversation est trop futile pour révéler quelque chose d’intéressant malgré le fait qu’il discute avec la femme du chef des Uchiwa. Le fait qu’il se mette en mouvement vient aussi du fait que c’est l’heure où le clan reprend vie avec le retour de tous les enfants en âge de fréquenter l’académie. Celle-ci a d’ailleurs considérablement évolué au fil des années de la vie de Satsuki. Si au commencement elle mettait surtout l’accent sur l’aspect militaire, les choses sont bien différentes à présent. Certes, la base martiale demeure essentielle pour tous, mais le programme s’est élargi. On peut y apprendre bien davantage désormais.

C’est également l’heure à laquelle les parents se rassemblent sur la place centrale pour récupérer leurs enfants. Les Uchiwa sont très certainement la famille la plus unie de tout l’empire, le fait qu’ils passent beaucoup de temps entre eux y est pour beaucoup. Un exemple de cela réside dans le fait qu’aucun adulte ne fait l’aller retour pour conduire les étudiants depuis des décennies, cette responsabilité incombant désormais aux ainés s’y rendant.

Arrivé sur la place principale, le chat laisse échapper un miaulement d’étonnement. Il est habitué à y voir du monde à cette heure, mais aujourd’hui, c’est tout autre chose. C’est dans ce genre de moment qu’on peut réellement se rendre compte que les Uchiwa sont bien plus nombreux qu’on ne l’imagine.Le fait que beaucoup d’entre eux sortent très rarement de l’enceinte du clan n’y est pas étranger.

En quelques bonds, l’animal gagne en hauteur, libéré de la seule vue des mollets mais surtout du brouhaha ambiant. Quand il y a trop de bruit autour de lui il a des difficultés à saisir ce qui se dit, sa compréhension se limite en cas de bruits trop nombreux, devenant pratiquement impossible. De sa hauteur, il comprend pourquoi tant de monde s’est réuni en ce lieu, une nouvelle visite du prince.

Le chat ne perd pas un instant pour se rapprocher le plus rapidement possible de Akira, il n’a pas oublié les instructions de Hidenori. Il est hors de question de lâcher ce garçon d’une seule semelle. Le souci, c’est que d’ici il est dans le brouhaha constant de la foule, impossible pour lui de comprendre quoi que ce soit. La frustration monte petit à petit dans la boule de poil qui en cet instant ne voit qu’une seule chose, le fait que cette incapacité de comprendre l’empêchera peut-être de dormir dans la même pièce que l’autre partie de son âme. Sans réfléchir le félin prend un peu d’élan avant de bondir vers les épaules du prince, aveuglé par l’idée d’être avec son Hoshi no tama.


Impossible de remettre les réflexes de Akira en doute au vu de la façon dont il a attrapé le chat au vol, le tenant d’une main ferme par la peau de son cou.

- Ce clan n’est plus ce qu’il était ! Il n’est pas possible de s’y balader sans être attaqué ! Des regards se croisent, impossible de savoir si le prince est sérieux ou non à la vue de son air neutre qu’il aborde souvent. Et ce même face au chat feulant timidement. L’animal est intimidé par l'attitude du prince et la façon dont il est tenu.

- On dirait bien que quelqu’un a engagé son chat pour vous tuer Akira-sama, cette phrase et le sourire du prince et d’Eizou détendent l’atmosphère. Le regard des plus petits reste tout de même fixé sur les deux cornes sortant du front de Akira.

- Tant que ce n’est qu’un chat ça va, répond-t-il en poussant l’animal au sol qui feule une nouvelle fois.

- On dirait que vous n‘êtes pas trop apprécié par cette boule de poils.

- C’est ni le premier ni le dernier à me voir d’un mauvais oeil. On peut y aller maintenant que vous avez ramené tout le monde ?

Eizou répond d’un simple oui de la tête en se mettant en route, suivi de très près par le prince et le chat. Les deux adolescents sont amusés de voir que le petit animal ne les lâche plus d’une semelle.

- Tu verras, le chat est l’animal que tout le monde préfère, personne ne pourra rien te refuser, lui avait affirmé Hidenori. C’est sans doute l’une de ses plus grandes erreurs aux yeux du chat, surtout aujourd’hui où les portes closes semblent se multiplier bien trop à son goût. Il se retrouve encore une fois exclu d’une conversation cruciale, une qu’il doit impérativement écouter s’il veut s’assurer dormir dans la même pièce que son Hoshi no tama. Il a tout tenté, grattant à l’entrée et à la fenêtre de la chambre de Eizou où se trouve le prince.


Le chat a même tenté de foncer contre la vitre dans l’espoir de la briser, mais n’a obtenu en retour qu’une bosse sur le crâne et des éclats de rire des deux adolescents. Le félin en arrive à un point où il accumule les erreurs. À la longue, il risque de trahir sa véritable nature ou tout du moins d’attirer le regard sur lui. La perspective de partager du temps avec cette partie de son âme qui n’est pas tout à fait reliée à lui, le fait en partie perdre la raison.
Incapable de pénétrer, le chat reste plaqué contre la vitre, espérant saisir des murmures provenant de l’intérieur. Malheureusement pour lui, elle ne laisse rien filtrer hormis un peu de chaleur.

Sa présence à quelques mètres d’eux n’a pas échappé aux adolescents. Bien qu’Eizou continue de refuser de le laisser entrer, il s’est tout de même laissé convaincre sous l’insistance de son ami de servir un bol de lait chaud au squatteur. Le chat a bien tenté de forcer le passage lorsque la fenêtre s’est ouverte pour déposer le contenant, mais les réflexes d’Akira sont bien trop vifs pour les pattes félines. Il feule chaque fois que la route lui est barrée, et va jusqu’à donner deux coups de griffes, l’un pour chacun des garçons, entaillant le dos de la main de l’un et l’avant-bras de l’autre. Blessures rapidement soignées par le prince à l’aide de son chakra une fois l’entrée close. Renforçant encore davantage leur opinion sur l’animal, un véritable petit démon à ne surtout pas laisser entrer.

Démon ne serait peut-être pas le terme approprié pour décrire le félin, du moins pas à ce moment-là. Il apparaît même plutôt mignon en tapant frénétiquement le lait, visiblement séduit par sa chaleur et son goût sucré. À tel point qu’il en oublie de jeter des coups d'œil vers ses cibles. Avoir de l’expérience dans la filature et l’espionnage est une chose, être un chat en est une tout autre. Il est trop aisé de se laisser distraire par bon nombre de choses. C’est sans doute le plus grand défaut de cette forme.

Ce n’est qu’une fois repu et réchauffé que le chat redirige son attention vers les adolescents, engagés dans une discussion qui semble animée. Eizou est debout, son visage et ses yeux rougis. Quelque chose le contrarie, mais cela ne semble pas être dû à Akira. Le prince a l’air désolé, mais il n’exprime aucune gêne. Comme s’il n’avait aucun contrôle sur le sujet abordé. C’est d’ailleurs la première fois que le chat le voit aussi expressif. Jusqu’à présent, il ne l’avait suivi que lors de déplacements officiels, durant lesquels il est attentif au moindre indice qui pourrait transparaître, abordant un masque de neutralité perpétuelle. Cela contribue à sa réputation de prince froid et distant.
C’est étrange pour le chat de le voir si expressif, il n’aurait jamais imaginé qu’il puisse être comme tout le monde. Pour lui, Akira est une figure à part, émanant de lui quelque chose de dangereux. Il ne saurait dire quoi exactement, mais il sent qu’il faut se méfier de ce garçon.

Le chat lâche un long bâillement en se frottant les yeux du dos d’une de ses pattes. Il commence à éprouver des difficultés à lutter contre la fatigue. Le froid, la digestion et la nuit trop courte pèsent sur sa motivation. Il pressent que s’il continue à rester immobile, il sombre bientôt dans le sommeil. C’est pourquoi il se met à arpenter le long de la fenêtre.

Au bout d’une heure, le chat soupire. Les deux garçons continuent de discuter, mais pour le félin, il demeure impossible d’entendre quoi que ce soit. Il a déjà fait trois fois le tour de la demeure en quête d‘une entrée qu’il n’aurait pas vue, toujours en vain malgré quelques lueurs d’espoir. Il a hésité à changer de cible, mais les instructions de Hidenori étaient on ne peut plus claires en cas de retour du prince au clan.
Il semble à l’animal que surveiller ces garçons est une perte de temps. La conversation entre les deux adolescents paraît désormais plus légère. De temps en temps, un air sérieux se peint sur leurs visages, mais rien qui retienne vraiment l’attention du petit espion. Il pressent qu’il obtiendrait plus d’informations en se rendant auprès de Wakio, mais cela irait à l’encontre de ce qui lui a été demandé. La crainte de désobéir à Hidenori l’emporte sur le désir de partager un moment avec son Hoshi no tama. Tant pis, il sacrifiera son temps, mais au moins il ne sera pas réprimandé. Du moins, c’est ce qu’il croit.

L’envie de recourir à des techniques qui pourraient lui être utiles lui traverse l’esprit, mais il balaie rapidement cette pensée. Utiliser le chakra naturel est bien trop risqué dans un tel endroit. Les utilisateurs de cette énergie sont rares à croiser, mais celui lui est déjà arrivé il y a deux ans au sein du clan Uchiwa. Manquant de peu d’être découvert. Il est hors de question de tenter à nouveau le destin. Il vaut mieux être moins performant mais avoir la possibilité de revenir, que l’inverse. Si jamais cette famille nourrit le moindre soupçon, il est évident que le clan sera soumis à une surveillance beaucoup plus stricte. Dans ce cas, il ne pourra plus se déplacer librement comme il le souhaite.

Le temps se distord dans le mauvais sens du terme lorsque l’on surveille sans avoir rien d’autre à faire que d’attendre. Rien pour se divertir, rien de véritablement captivant. L’ennui s’installe rapidement, l’animal n’ayant guère d’autre occupation que de se toiletter et de chasser la neige qui s’accumule sur lui.

C’est après trois longues heures que le chat reprend sa route, suivant le prince jusqu’au palais de Shuto. Il émet des hésitations en emboîtant le pas à Akira, se demandant s’il fait vraiment bien de ne pas suivre son instinct qui lui dit de rester. Il pressent qu’il n’apprendra pas grand-chose de cet adolescent, du moins rien d’intéressant concernant les intentions de Hidenori. Il est tiraillé entre le désir de rester au sein du clan et celui de suivre les ordres de celui qu’il considère comme son maître. Sans grand étonnement c’est la seconde option qu’il choisit de suivre.

La visite du chat au palais de Shuto n’a guère enchanté Hidenori. S’il ne lui est pratiquement jamais demandé de se rendre dans cette partie de la capitale, c’est pour une bonne raison, il n’y a pas de lieu plus surveillé dans tout l’empire. En s’y aventurant, le risque d'être découvert est bien plus élevé. Heureusement pour le félin, il semble avoir échappé à la catastrophe. Il faut dire qu’il a pris soin de ne dépenser la moindre once d’énergie.
Hidenori a réévalué ses directives après ce qu’il considère comme une erreur de la part de l’animal. Même après des années de direction, il peine encore à anticiper la façon dont il suivra ses instructions. Il oublie parfois que Satsuki prend ses paroles un peu trop au pied de la lettre, ce qui le mène de temps en temps sur de mauvaises pistes, comme la veille.
Il a maintenant pour instruction de suivre un peu plus son instinct au lieu de suivre aveuglément les ordres. Les paroles de Hidenori restent prioritaires, mais le félin est autorisé à suivre son intuition s’il ressent qu’il y a quelque chose de plus intéressant.

Le chat ne sait pas vraiment où se rendre malgré ses nouvelles directives. Il a l’impression que des informations pourraient se cacher à chaque coin de maison. Il a vraiment du mal à se poser plus de dix minutes quelque part. L’instruction de devoir suivre son instinct le perd un peu, lui faisant croire à chaque instant que quelque chose de plus intéressant se trouve autre part. L’animal a passé toute sa journée à aller de gauche à droite sans trouver quoi que ce soit d’intéressant.

Enfin, tout ceci était vrai jusqu’à ce qu’il décide de se rendre dans la demeure d’Ukichiro sur un coup de tête. Au départ il voulait rendre à nouveau visite à Hideaki mais quelque chose en lui l’a poussé à bifurquer au dernier moment et de suivre son instinct.

- Je t’assure que je ne raconte pas n’importe quoi grand-père ! Le chat observe depuis le rebord de fenêtre le jeune homme discuter avec un vieillard qu’il reconnaît comme Ukichiro. On dirait bien que la chance lui sourit, pour une fois qu’il tombe sur une maison en pleine aération. C’est pas la première fois que des membres du clan reportent avoir des absences. Il y a aussi ces incohérents dans ce que certains membres rapportent. C’est comme le mois dernier.

- On en est à combien de rapport de ce type Oriza ? Le vieil homme verse du thé dans une coupelle en fonte pour chacun. Un breuvage légèrement rosé.

- C’est le premier de cette année de notre côté, il y en a eu une dizaine l’année passée. Pour tout Shuto on a réussi à en récolter trois pour cette année et une centaine pour l’année passée. Mais il est certain que nous n’avons pas réussi à dégoter toutes les personnes affectées par ce mal. On ne compte même plus celles des années d’avant …, le jeune homme soupire, impuissant face à ce mystère. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes, en plus de la nôtre, mais toutes sont au point mort. J’ai l’impression que toutes les pistes ont été suivies mais aucune ne mène à rien. Que ce soit un empoisonnement par l’eau, la nourriture, une maladie ou tout autre chose. Rien ne donne quoi que ce soit pour le moment.

- As-tu réussi à te procurer la liste des personnes ayant mis en place un pacte avec une famille de Kuchiyose ? Ukichiro tend l’une des coupelles à son petit-fils, ainsi qu’un bol contenant quelques fruits secs. En croquant quelques uns au passage.

- Oui et j’ai eu le temps d’enquêter auprès d’un dixième de celle-ci. Pour le moment ça n’a rien donné. Tous m’ont affirmé ne pas avoir fait appel à la famille avec qui ils se sont liés ou avoir appris le senjutsu. Les chutes de chakra naturel sont toujours un mystère mais coïncident parfois, mais encore une fois ce point est sans certitude.

- Le lien entre les trous de chakra naturel et les problèmes de mémoire est prouvé depuis longtemps Oriza, ce n’est plus un doute.

- Rien ne l’affirme pourtant grand-père.

- C’est vrai qu’il n’y a aucune preuve directe mais je mettrais ma main à couper que c’est bien le cas. Ton arrière grand-père a ouvert l’enquête à propos des soucis de mémoire. Pensant dans un premier temps que ça ne touchait que notre clan, il a découvert au fil de celle-ce que c’est tout Shuto qui est touché. Comme tu le sais, il a même cherché à savoir si ça se propagé sur le reste de l’empire ou non. À notre connaissance ce n’est jamais sorti de l’enceinte de la capitale. J’ai moi-même ouvert l’enquête que tu as reprise.

- Grand-pére, coupe le jeune homme un peu honteux, je connais ce dossier. Ça fait cinq ans que je travaille dessus. Où est-ce que tu veux en venir exactement ? Si c’est à propos du fait que ça a commencé plus ou moins en même temps je suis au courant et on en a déjà discuté plus d’une fois.

- Et tu n’écoutes toujours pas. C’est deux points ne peuvent être que liés. Il n’y a aucune trace de tels actes avant.

- Ce qui est logique grand-père, quelque chose ne peut pas laisser de trace s’il n’a pas encore eu lieu.

Le chat saute de son observatoire, il a déjà entendu à de nombreuses reprises ce genre de discussion et elle finit toujours par tourner en rond avec Ukichiro, tellement persuadé d’avoir raison qu’il ne démord pas de cette idée. Montrant à quel point il peut être têtu même si sur ce cas ci il est celui qui est le plus proche de la vérité. Les premières années Satsuki s’inquiétait pour sa sécurité, cette idée que l’on enquête sur lui nourrissait une angoisse qui l’empêchait de dormir. Mais plus depuis longtemps, comprenant qu’ils sont à mille lieux de percer le mystère tant qu’il prend ses précautions.

Il est extrêmement rare que l’enceinte du clan Uchiwa s’ouvre aux étrangers comme elle l’est aujourd’hui. La dernière fois que tant de visiteurs venant de l’extérieur ont franchi les magnifiques portes laquées de l’entrée, remonte bien à une vingtaine d’années. Aucun étranger, à l’exception des membres de la famille impériale ou des visiteurs officiels, n’a pénétré dans ces lieux depuis tout ce temps.

D’un battement d’ailes, le corbeau quitte sa branche nue de sakura pour en rejoindre une un peu plus haute. Il cherche à avoir la meilleure vue possible sans trop attirer l’attention sur lui. Les chances que cela se produise sont minces, mais on ne sait jamais. S’il y a un jour où il faut être vigilant à tout, c’est bien aujourd’hui. Parmi cette foule de gens endeuillés se trouve une partie de l’élite de l’empire. Certains font partie du clan, d’autres non. Pour l’instant, il ne doit pas y avoir de lieu plus sûr sur Onogoro que celui-ci. Accueillir les individus les plus influents ne se fait pas sans s’assurer que personne ne court de risque. Surtout avec les soucis de mémoire qui semblent avoir repris de plus belle au sein des Uchiwa.

Finalement, le corbeau revient à sa branche d’origine, plus proche de la foule mais moins discrète. Mais au moins d’ici, il voit mieux. Satsuki ne prend que rarement la forme du volatile, préférant celle du chat qu’il estime plus adaptée pour s’infiltrer, et ce malgré sa capacité à s’élever dans les cieux. Il ne la choisit que lorsqu’il est sûr de demeurer en plein air, comme aujourd’hui. Certes, le corbeau est plus discret que le chat, car rares sont ceux qui lèvent les yeux, et encore moins ceux qui désirent caresser son plumage. Contrairement au chat, qui attire bien trop de mains à son goût, bien que cela ouvre parfois des portes.

Le corbeau observe avec une attention méthodique la foule en contrebas. Il préfère prendre son temps, car il n’est pas encore tout à fait familiarisé avec la vue que cette forme lui offre. Parmi eux se trouvent quelques-unes des personnalités les plus influentes de l’empire. Rien que dans les premiers rangs, on peut distinguer l’impératrice, le prince, et une partie de la famille Akishino résidant à Shuto. Certains ont même fait le voyage depuis bien plus loin pour être présents en ce jour. Ce ne sont pas les seules figures aisément reconnaissables.

Sans difficulté, il repère la chevelure rousse qui se détache au milieu de toutes ces silhouettes vêtues de noir. Megumi Aburame, l’une des personnes les plus proches de l’impératrice, sa seule et unique conseillère. Comme toujours, elle attire de nombreux regards, même dans cette situation les esprits sont momentanément distraits. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que l’on a l'occasion de croiser cette jeune femme. Entre ses obligations envers l’empire et ses représentations sur scène, elle n'a que très peu de temps pour elle.

À la droite du prince cornu, le volatile remarque Kenji Akishino, surnommé le Colosse Akishino, également membre du conseil. Il dépasse la plupart de la foule d’un bon demi-mètre. Dommage pour tous ceux dont la vue est obstruée.

Parmi la famille Wakio qui est externe au clan, on trouve Hidenori, reconnaissable à sa longue chevelure noire. C’est lui aussi un des conseillers. Çe volatile le distingue par sa silhouette, bien que ses traits distinctifs ne soient pas visibles à cette distance et avec cette vue médiocre. À force de le côtoyer, il pourrait le reconnaître entre mille sans aucune difficulté. À sa droite se tient un adolescent aux cheveux ébouriffés, indéniablement son fils, Haruo.

Le dernier membre du conseil, dont l’annonce officielle est encore à venir, se tient parmi le premier rang. Le corbeau s’en rapproche d’un nouveau coup d’ailes, se posant sur une branche nue. Il s’agit de Hideaki Uchiwa, récemment nommé chef de ce clan au grand désarroi de Satsuki.

Le corbeau jette de temps à autre un coup d’oeil dans la direction de l’impératrice. Comme bon nombre de personne dans l’empire, Satsuki trouve cette femme très mustérieuse. Cependant, lui est capable de percevoir quelque chose qui échappe à presque tout le monde, autour d’elle, une partie du chakra naturel ambient s’épuise lentement. Elle agit comme une éponge pour cette énergie, mais jamais au point d’en vider les lieux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il refuse de s’approcher trop près d’elle sous sa véritable forme. Il en a fait l’expérience une fois, et c’est ce jour-là qu'il a découvert cette capacité en sentant son propre chakra naturel se faire absorber. Il suppose qu’à partir de ce moment-là, elle a découvert son existence, même s’il pense qu’elle ne l’a jamais vu.

Le volatile repère un homme, à l’écart de tous, à la forte carrure, moindre par rapport à celle de Kenji. Sa chevelure blanche cascade jusqu'au bas de son dos, un contraste saisissant avec son kimono noir. Le corbeau aimerait bien s’approcher de cet individu, mais il s’en méfie grandement. Peut-être même plus que de l’impératrice qui, malgré sa probable découverte, n’a jamais rien entrepris contre lui. L’arrière-grand-père de Hidenori lui avait fortement interdit de s’approcher d’un membre de l’ordre du Lotus Blanc, et encore moins de Zenzo Sato, un décret perpétué de génération en génération. Satsuki n’a jamais compris pourquoi, ne percevant rien de menaçant de leur part. Il aurait même parié sur le fait qu’on lui demande d’enquêter sur cet ordre, mais jamais une telle mission ne lui a été confiée.

Le reste des invités se compose en grande partie des Uchiwa de l’empire et des membres de la famille de Wakio qui ne font pas partie du clan. Mais on peut également trouver des amis de ce dernier, ainsi que des chefs de clan ayant accepté l’invitation de l’épouse de l’ancien chef. Tous les plus hauts placés des grandes familles sont venus avec au moins un invité. Il reconnaît parmi eux quelques visages à portée de sa vue un peu floue, mais beaucoup lui sont inconnus, malgré les portraits que Hidenori lui a montrés pour qu’il se familiarise avec les personnalités les plus influentes. Et ce même en se rapprochant.

Satsuki est là, à la cérémonie d’enterrement de Wakio Uchiwa, pour deux raisons imposées par Hidenori. La première vise à lui permettre de se familiariser avec les visages des personnes influentes qu’il ne connaît pas encore. La seconde, la plus cruciale aux yeux de celui qu’il considère comme son maître, a pour but qu’il se rende compte de l’impacte de ce qui est jugé comme son erreur. Hidenori estime que c’est son manque d’efficacité qui a permis à Hideaki de s’élever au rang de chef de clan et de conseiller. Une conclusion qui va à l’encontre de ce qui était attendu. Avec un peu de recul et un brin de réalisme, on se rend rapidement compte que le kitsune ne peut être tenu responsable. Surveiller autant de monde en si peu de temps était tout bonnement impossible. Il a eu de la chance de recueillir quelques informations sur ce laps de temps, et ce sans savoir où chercher auprès de qui. Mais Hidenori refuse d’admettre cela.

Remarquant que la famille proche du défunt se met en mouvement, le corbeau échange une nouvelle fois de branche d’un coup d’ailes. Une dizaine de personnes s’entraide pour faire avancer le cercueil de Wakio vers une structure rectangulaire en pierre, ornée d’un éventail taillé en relief.
Il est amusant de constater que, comme de nombreux clans, ils ont su préserver leur symbole à travers les âges sombres
Le volatile se doute bien que la structure a un lien avec la cérémonie qui se déroule depuis maintenant plus de deux heures. Il se sent un peu perdu bien que ce ne soit pas la première fois qu’il assiste à ce genre d’événement qui restent étrangers pour lui.

Les minutes passant résolvent le mystère de la structure lorsque Hideaki s’avance vers le monument, enfonçant son visage dans un renfoncement prévu à cet effet. En quelques instants des flammes d’un noirs bleuté jaillissent des trous sur le flanc. Satsuki les reconnait directement bien que ce soit la première fois qu’il les voit, il s’agit là du célèbre Amaterasu, le feu des Uchiwa ayant pour réputation de ne jamais s’arrêter. Malgré la clarté, le lueur bleuté des flammes s’étend tout autour du crématorium. Le corbeau ressent la chaleur sur son plumage même à un peu plus de vingt mètres. Pensant même devoir changer de position à la première vague vu sa puissance. Le volatile va jusqu'à se demander si Hideaki n’a pas un peu forcé pour la démonstration. Ce ne serait pas le premier à vouloir se montrer sous son meilleur jour.

Au bout d’une heure, alors que la foule s’est grandement dissipée après la mise en urne des cendres du défunt, le corbeau perçoit un signal envoyé par celui qu’il considère comme son maître. Une dépense discrète de chakra, si faible qu’elle n’est perceptible que par une personne à l’affût comme l’est Satsuki. Il n’est très certainement pas le seul à avoir perçu cette utilisation d'énergie, c’est un risque énorme que Hidenori vient de prendre. Le kitsune se demande ce qui a bien pu pousser cet homme à se mettre en danger de cette façon. Il y a peu de risque que ce soit vraiment soulève vu le peu de chakra dépensé mais c’est tout de même signaler sa présence. L’oiseau ne perd pas un instant pour obéir, trois utilisations de chakra suivie d’autant après une courte pause lui indique un retour au bureau de Hidenori après trois heures de détour. L’homme préférerait user d’un code plus complexe, plus difficile à copier et à comprendre mais serait bien plus suspect. Si seulement Satsuki arrivait à mettre le sceau au point comme il le lui demande depuis plus de cinq années.

C’est un peu déçu que le corbeau déploie ses ailes en jetant un dernier coup d'œil vers l’impératrice.